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Comment l’interdiction européenne des produits dérivés du phoque a transformé les communautés des régions pionnières en parias

09 September 2021
Règlementation

Danita Catherine Burke, Université du Danemark du Sud

Dans les années 1970, une campagne prolongée a convaincu une grande partie de la population du globe que les manifestants venaient sauver de mignons petits phoques des griffes de tueurs sanguinaires près du cercle polaire arctique. Rapidement, les gens du monde entier se sont habitués à voir des images de chasseurs armés de gourdins, se tenant debout au-dessus de bébés phoques du Groenland tout duveteux. Or, l’Europe était à l’époque le principal marché pour les produits dérivés du phoque. En 1983, après l’indignation du public face à ces images, la Communauté économique européenne a interdit l’importation de fourrures de bébés phoques du Groenland. Puis, en 2009, l’Union européenne (UE) a ensuite étendu cette interdiction à tous les produits dérivés du phoque, invoquant des « questions morales ». La campagne contre la chasse au phoque a ainsi réussi à réduire à néant l’intérêt que portaient les Européens aux produits dérivés du phoque, mais la campagne ne montrait qu’une seule facette de la réalité. Par exemple, contrairement à la chasse commerciale représentée par l’image, la chasse au phoque de subsistance a permis de survivre à des générations de peuples côtiers du nord-est du Canada et de l’Arctique canadien pendant des siècles. Aujourd’hui, au Canada, les chasseurs non autochtones sont autorisés à prendre six phoques par an pour usage personnel. Les personnes qui tirent leur subsistance de la chasse au phoque et leur famille mangent la viande de l’animal et, lorsque c’est possible, vendent sa fourrure afin de générer un petit revenu pendant les maigres mois d’hiver, lorsque la saison principale de la pêche à la morue, au crabe et au capelan est fermée. En revanche, historiquement, les personnes pratiquant la chasse commerciale avaient tendance à abandonner une grande partie de l’animal sur la glace après avoir récupéré sa fourrure. Alors que les manifestations des années 1970 ciblaient la chasse commerciale du phoque du Groenland sur la côte nord-est du Canada, en particulier à Terre-Neuve-et-Labrador, au Québec et dans le Golfe du Saint-Laurent, certains manifestants plus extrêmes ne faisaient pas la distinction entre ces deux types de chasse, luttant pour que la chasse soit interdite, quel que soit son type. Résultat : l’Union européenne a interdit l’importation de produits dérivés du phoque, une interdiction qui, aujourd’hui encore, touche autant la chasse commerciale que la chasse de subsistance par les peuples non autochtones. Cette interdiction n’autorise l’importation dans l’UE que d’articles produits par les Inuits dans le cadre de la chasse traditionnelle et prive les autres personnes qui chassent le phoque à des fins de subsistance d’un élément important tant sur le plan économique que culturel. Comme nous le verrons plus loin, le combat contre la chasse aux phoques a laissé de profondes blessures au Canada.

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Le militantisme anti-chasse aux phoques

 

En 1964, une équipe de tournage a payé quelqu’un pour écorcher un phoque vivant, un acte de cruauté qu’elle a ensuite décrit comme étant une pratique typique de la chasse au phoque dans un documentaire explosif. Quelques années après la diffusion du documentaire, les images ont cependant été démystifiées. Mais le processus de diabolisation des chasseurs de phoque et de leur culture avait déjà fait son chemin.

 

L’année 1969 a marqué le lancement de campagnes coordonnées contre les chasseurs de phoque et l’industrie des produits dérivés du phoque. Certains chasseurs de phoque ont reçu des menaces de mort de la part de manifestants qui ont afflué vers plusieurs petites communautés de Terre-Neuve, interférant avec les chasses commerciales. Au cours de la chasse aux phoques de 1977, des manifestants auraient même retenu en otage un chasseur de phoques sur de la glace flottante.

 

Cependant, il existait des divergences d’opinion même au sein du mouvement anti-chasse au phoque. En effet, différentes organisations de conservation traditionnelles comme le Fonds mondial pour la nature (WWF) ont plaidé en faveur d’une surveillance accrue et de quotas durables. En revanche, des organisations axées sur la défense des droits des animaux comme le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) étaient plutôt d’avis que la chasse au phoque ne devrait pas être autorisée du tout.

 

À l’origine, les protestations ont été déclenchées par une vague d’inquiétudes concernant le déclin de la population de phoques du Groenland. D’ailleurs, ce déclin préoccupait autant les chasseurs de phoques que les personnes militant contre la chasse. Cependant, plus de 40 ans plus tard, l’argument faisant valoir que la chasse aux phoques menace une espèce en voie de disparition est moins convaincant. En effet, en 2017, le ministère des Pêches et des Océans du gouvernement canadien a estimé que la population de phoques du Groenland dans l’Atlantique nord-ouest était « d’environ 7,4 millions d’animaux, soit six fois plus que dans les années 1970 ».

 

À noter que l’avis sur la question de Greenpeace, qui faisait pourtant partie des premières organisations à protester contre la chasse au phoque, a depuis évolué. Greenpeace avait en effet commencé à protester contre la chasse au phoque en 1976, mais avait tout de même reconnu le lien entre la chasse au phoque à des fins de subsistance et la culture des Inuits et de Terre-Neuve-et-Labrador. L’organisme s’était d’ailleurs associé au syndicat des travailleurs de la pêche, de l’alimentation et des secteurs connexes Fish, Food and Allied Workers Union (FFAW) de Terre-Neuve-et-Labrador pour protéger les phoques contre la chasse excessive des étrangers.

 

Mais, un an plus tard, Greenpeace a rejoint les rangs les plus radicaux de la campagne radicale contre toute forme de chasse au phoque et a laissé tomber la FFAW. À terme, Greenpeace s’est retirée de la campagne, répondant aux avertissements des porte-paroles de la WWF et des Inuits concernant les effets négatifs des manifestations sur les peuples autochtones.

 

Un héritage douloureux

L’IFAW, quant à elle, continue à mettre en avant sa position concernant la chasse au phoque en insistant sur le rôle qu’elle a joué dans la mise en place de l’interdiction par l’UE. Le site Web de l’organisation indique en effet qu’« une fois cette interdiction en place, le nombre de chasseurs de phoque canadiens a chuté de 90 % ».

 

Selon un rapport de Greenpeace, au plus fort des manifestations, en 1977, le chasseur de phoque moyen avait 3,5 personnes à charge, avait été jusqu’au secondaire 3 et vivait dans une communauté isolée avec peu d’autres perspectives d’emploi.

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Aujourd’hui encore, les chasseurs de phoque et leur famille font face à des risques de violence s’ils pratiquent et expriment leur culture. Par exemple, une femme de Terre-Neuve dont le père est chasseur de phoque à des fins de subsistance avait publié une photo de sa famille portant un nœud papillon et un chapeau en fourrure de phoque. En réaction à sa photo, on l’a menacée d’enlever son enfant de trois ans et l’écorcher vif.

 

En 2014, Greenpeace Canada a reconnu son rôle dans le mouvement anti-chasse au phoque et a présenté ses excuses aux Inuits du Canada et aux autres peuples autochtones et côtiers. Cependant, à l’heure actuelle, peu d’actions sont menées pour mettre un terme aux préjudices causés aux chasseurs de phoque et aux cultures qui pratiquent la chasse à cet animal.

 

En effet, l’UE continue d’interdire les importations de produits issus de chasseurs de phoque non autochtones pour des raisons éthiques. En 2010, elle a d’ailleurs défendu sa position contre une contestation norvégienne, canadienne et inuite et obtenu gain de cause.

 

Or, le coût humain invisible de tout cela est rarement évoqué. Les peuples du nord du Canada pour lesquels la chasse au phoque était un élément culturel ont souffert pendant la longue campagne contre l’industrie de la chasse au phoque et leur mode de vie traditionnel. Or, en raison de l’interdiction de l’UE, cette souffrance perdure.

 

Source:

https://theconversation.com/amp/how-europes-ban-on-seal-products-turned-frontier-communities-into-pariahs-161730?__twitter_impression=true&fbclid=IwAR0kJ-jwVmZ6rkwtq22r-0nOBavvWkxYmSo-FGhGfF6d2wNxBWrVbXLcQm4

Références